lundi 17 octobre 2016

Seiyû, say me, say it together.


J’ai beau fréquenter de l’idol de chez Akimoto (pas Yamamoto Sayaka, malheureusement), je prête le moins d’attention possible à ce qui se passe là-bas, car, comme tu le sais déjà, chez Robert Patrick on soutient plutôt l’équipe adverse. Autant te dire que la mère Kago qui me fait mentir et qui rise from her grave, ça m’a bien fait plaisir.
La télévision japonaise, en revanche, n’a pas son pareil pour m’informer sur le devenir des unes et des autres, j’ai donc appris cette semaine que « Paruru » allait bosser un peu moins dans la danse et un peu plus dans la voix : elle veut devenir doubleuse (声優), si possible pour le studio Ghibli.

Et c’est exactement de ça dont je vais te parler aujourd’hui : le bordel qui entoure le doublage et pourquoi le fait que je n’aie pas à m’inquiéter pour la carrière de Paruru est bien le cœur du problème.

À l’occasion d’un récent cours de chant, je dis à ma prof « dis donc, t’es bien la seule prof de chant, ici ? »
- Ouais.
- Ça veut dire que tous les autres élèves qui viennent en même temps que moi, c’est pour être doubleur ?
- Ouais.
- Mais le chant, ça peut être pour des projets persos ou faire le malin au karaoke et lever des meufs, mais doubleur, t’es obligé de devenir pro pour en faire quelque chose, non ?
- Ouais.

À quoi elle ajouta que dans les faits, c’est un peu moins séparé que ça, vu que les doubleurs prennent aussi souvent des cours de chant. En effet, tu auras remarqué qu’on est passé d’une époque avec des génériques complètement séparés du cast de l’anime à une époque où au contraire on pousse les doubleurs de l’anime à interpréter également les génériques d’ouverture et de fin, histoire de renforcer l’identité du produit.

On est également passé d’une époque où les doubleurs ne montraient jamais leur gueule à une époque où la frontière est de plus en plus mince entre doubleuse et chanteuse à plein temps + gravure idol, la bigleuse de service ayant sans doute été le summum du phénomène, et du coup pas la dernière à avoir essuyé les plâtres d’un tel succès, le web 2.0 ayant pleinement contribué aux 2 aspects de sa carrière.

Et qui dit visibilité, dit donc critères supplémentaires pour trier les candidats : avant, tu pouvais te contenter d’avoir une super voix. Maintenant, on préfère aussi que t’aies un bon cul à vendre, c’est-à-dire qu’on prendra probablement celle qui a une moins super voix, mais qui va nous vider les stocks de goodies avec ses gros nichons ou sa gueule d’ange.
Déjà, tu sens le glissement qualitatif.

Mais y a plus fort encore.

À partir du moment où tes doubleurs sont visibles et deviennent des entités en 3D, ça veut dire que leur attractivité n’est plus seulement basée sur leur voix, et qu’on peut donc aller chercher de l’attractivité dans le physique aussi, d’accord, mais on peut carrément aller la chercher… Dans l’attractivité elle-même !
Et voilà le super poing de la vengeance qui arrive dans ton cul comme un François Hollande à la présidence française : on va utiliser des personnes DÉJÀ célèbres pour le doublage, donc fais péter les acteurs, les présentateurs télé, les comédiens de stand-up, tout ce qu’on a sous la main pourvu que ça soit déjà passé à la télévision et que ça soit bankable.
Et alors là, la qualité, t’as bien compris que tout le monde s’en tartine la bite avec du yaourt.

Or, tout ce qui relève du talent passant nécessairement par des agences (事務所) au Japon, on n’est plus tant dans le talent individuel du doubleur que dans la position de pouvoir de son agence, raison de ma non-inquiétude quant à la carrière de Paruru, indépendamment de ses compétences persos.

Et puisqu’on parle de compétences, ajoutons qu’on se retrouve aujourd’hui avec un paradoxe : à l’origine, on avait donc des agences qui recrutaient des doubleurs et leur expliquaient ce qu’il y avait à faire mais pas COMMENT le faire. C’est ainsi que chacun développait sa personnalité, mais également que la sélection naturelle opérait : on avait peu de doubleurs, mais le niveau était élevé (en France, ça correspond à la période dorée Lax-Carel-Balutin-Dax-Hernandez). Désormais, tu veux devenir doubleur, ben tu vas dans une école où on t’explique comment tout faire bien, du coup non seulement on perd la sélection naturelle puisque tout le monde acquiert les compétences, mais on se retrouve également avec une perte d’identité, comme l’a récemment mentionné Nozawa Masako.

Enfin, tu auras sans doute remarqué que les hommes ont des voix plus facilement identifiables, quitte à en devenir prisonnier (Hayami Shô, le mec qui restera Aizen Sôsuke jusqu’à la fin de sa vie, quel que soit le perso qu’il incarne), alors que les nanas, à part quelques-unes rapidement identifiables (les Sawashiro-Nôtô-Fukui et quelques autres), c’est grosso-modo les mêmes rôles d’hystéro-kawaii qu’elles se tapent, surtout en cette période d’idoling et de magical girls de groupe (paie tes groupes de 5 persos féminins du même âge sur 10 séries, comme ça on est bien sûr qu’aucune doubleuse ne sortira du lot…), mais elles ont en revanche l’avantage de la diversité : une nana peut très bien faire des rôles masculins, des enfants, ou des femmes de tout âge. Pour les mecs, en revanche, c’est mort : t’as l’âge de ta voix et la voix de ton âge. Tu peux faire plus vieux, mais pas plus jeune (c’est pour ça que les Son Goku, Luffy, Naruto, c’est des meufs), donc ou bien t’as une vraie voix de fils de pute, ou bien tu peux bien te gratter le cul pour trouver du taf.

Alors comme désormais plus personne ne veut devenir salaryman, autant te dire que ça se bouscule au portillon, entre ceux qui ont du talent mais pas une agence assez puissante, ceux qui sont dans une grosse agence alors ils sont 200 à vouloir choper le même rôle, celles qui sont moches… Le tout payé une misère, bien entendu, ce qui nous vaut la sentence « c’est plus difficile de devenir doubleur (= d’en vivre) que médecin ou avocat ».

Pendant ce temps-là, ce sont tes anime et tes jeux vidéo qui trinquent.
 
Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.